Le texte que vous allez découvrir ci-après est celui d'une conteuse, auteure de nombreux ouvrages : romans historiques, légendes... Je vous donnerai sa biographie un autre jour car je suis sure que de toute manière vous en redemanderez. Mais enfin, sachez déjà qu'elle s'appelleAngèle Jacq. Ca vous parle n'est-ce-pas ?
Fille de paysan, Angèle Jacq est née à Landudal, près de Kemper en 1937. Elle a été agricultrice, vendeuse itinérante, commerciale. En parallèle elle mène de la correspondance, de la pige, de la photo pour un journal depuis 31 ans. Elle est aussi l'auteur d'un projet de film… et chaque année elle cultive son potager. Donnons-lui la plume :
Erwan ? C’est le prénom usité en Treger, sûrement celui que portait au quotidien Yves Heloury de Kemartin, le juriste que l’on sait, sanctifié par la suite, non sans mal car Rome n’aimait pas les hommes de loi. Il est l’un des sept saints canonisés de Bretagne. Eh, oui ! Il n’y en a que sept, à savoir : Saints Donatien et Rogatien au IIIième siècle, avec des noms latinisés ! Saint-Guillaume Pichon, évêque fondateur de St-Brieuc, 1184-1237 ; Saint-Yves Heloury, 1253-1303 ; Sant-Herve ; Sant-Yann Discalseat, 1280-1349 plus connu sous le nom de Santig Du et Saint-Roger, guillotiné en 1793 et canonisé en 1935. Tous les autres, c’est la volonté du peuple qui a décidé de les sanctifier ! Une toute autre histoire pour une autre fois, celle de la légende dorée des saints de Bretagne.
Yves ? Ce prénom fut-il « conseillé » au clergé après l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François 1er en 1539 qui imposa le français à la place du latin dans les actes officiels ? Et chassa, par ce fait, tout possible officiel aux langues dites « vernaculaires »… y compris ses prénoms d’essence et d’écriture locale. Il fallait donc uniformiser les prénoms de terroir en prénoms français dans les registres paroissiaux tenus par le clergé, lors des baptêmes, mariages et enterrements.
Par la suite, « L’Etat civil » décidé par la révolution a continué les écritures dans le même esprit. Est-ce la multiplication des prénoms issus de l’émigration en fin d’années soixante au siècle dernier qui fit pression et permit d’enregistrer la gamme des choix d’aujourd’hui ? Je ne saurai le dire.
Cela étant, officiel ou pas « Yves » ne servait pas pour le « tous les jours ». Le prénom de l’enfant, choisi par ses parents, était celui en cour dans son terroir. « L’autre », c’était pour les « papiers » ! Le titulaire de ce prénom disposait donc de deux identités - n’en déplaise à l’ordonnance de Villers-Cotterêts – celle « officielle » de l’Etat civil et celle usitée et connue de tous pour le nommer dans le village jusqu’à la fin de ses jours. Et bien d’autres prénoms dans le même cas. Par exemple, ma grand-mère paternelle - qui ne parla jamais français – s’appelait Gaed Philippe car les femmes chez nous conservaient leur nom de jeune fille. Mais Gaed, comment traduire ! L’Etat civil décréta que «Marguerite» en serait l’équivalent. C’était ainsi.
Mais revenons aux « Erwan ». Comme en tout terroir, bien des prénoms différents couraient les campagnes pour un même saint référent puisque la diversité faisait la coutume. Et il n’y avait que l’embarras du choix.
Erwan donc en Treger, mais en Kerne ? Selon que l’on ait vu le jour en Kerne C’hlazig ou dans le Mene, il y a encore une variante. Yves de Kerguelen, le découvreur de l’Antarctique et des îles de même nom – s’appelait Youenn Ar Gergelenn pour les petits paysans de Landudal qui partagèrent ses jeux. Plus modestement, - mon père, que tout le monde appelait Youenn - et l’on se serait « gondolé » de rire sur la place s’il quelque malotru l’avait appelé « Yves » - était bien enregistré « Yves » sur l’Etat civil de Langolen.
Voilà, pour le terroir C’hlazig.
Mais sa lignée posséde aussi des racines très bien plantées du côté de Leuc’han, Sant-Woazeg, Speid, terroir toujours Kerne mais situé en Mene. En ces lieux bénis, les rencontres familiales lors des enterrements dépassent ce que le commun des mortels ailleurs qu’en ce pays, peut imaginer. Empreinte de piété et baignant dans les souvenirs, la cérémonie religieuse d’une grande ferveur rassemble le banc et l’arrière-banc d’un cousinage aux ramifications multiples et serrées.
Mais sa lignée posséde aussi des racines très bien plantées du côté de Leuc’han, Sant-Woazeg, Speid, terroir toujours Kerne mais situé en Mene. En ces lieux bénis, les rencontres familiales lors des enterrements dépassent ce que le commun des mortels ailleurs qu’en ce pays, peut imaginer. Empreinte de piété et baignant dans les souvenirs, la cérémonie religieuse d’une grande ferveur rassemble le banc et l’arrière-banc d’un cousinage aux ramifications multiples et serrées.
Mon père, pour rien au monde, n’aurait omis de s’y rendre.
Car non seulement il y avait la cérémonie à l’église, l’accompagnement de l’ancêtre jusqu’au cimetière avec les chuchotements de foule évoquant ses bons moments, ses sautes d’humeur, ses aventures et ses travers. Mais il y avait ensuite, - et il y a encore - parce que la vie continue, le « merenn vihan, littéralement le « petit dîner » ! » auquel le décédé avait largement abondé de ses propres deniers. Car le vénérable vieillard qui nous avait quitté, n’aurait jamais admis que l’on ne fête pas son départ. Merenn vihan : elle – c’est du féminin en breton - n’avait de petite que le nom. En effet, lorsque s’étalaient à longueur de table, les assiettées de charcuteries, les tranches de pain, les crêpes de blé noir et de froment, le café, le vin et les liqueurs, et le gwastell vras, le grand gâteau… Devant cet étal, la famille proche et lointaine rebâtissait le monde et beaucoup mieux encore, tenoe a rae e c’halen maez deus ar vizer, « elle sortait son cœur de la misère » !
Car non seulement il y avait la cérémonie à l’église, l’accompagnement de l’ancêtre jusqu’au cimetière avec les chuchotements de foule évoquant ses bons moments, ses sautes d’humeur, ses aventures et ses travers. Mais il y avait ensuite, - et il y a encore - parce que la vie continue, le « merenn vihan, littéralement le « petit dîner » ! » auquel le décédé avait largement abondé de ses propres deniers. Car le vénérable vieillard qui nous avait quitté, n’aurait jamais admis que l’on ne fête pas son départ. Merenn vihan : elle – c’est du féminin en breton - n’avait de petite que le nom. En effet, lorsque s’étalaient à longueur de table, les assiettées de charcuteries, les tranches de pain, les crêpes de blé noir et de froment, le café, le vin et les liqueurs, et le gwastell vras, le grand gâteau… Devant cet étal, la famille proche et lointaine rebâtissait le monde et beaucoup mieux encore, tenoe a rae e c’halen maez deus ar vizer, « elle sortait son cœur de la misère » !
Et là, sans coup férir, et sans que cela le choque le moins du monde, au contraire ! Mon père heureux comme il pouvait l’être en ces moments, changeait encore de prénom ! Là, figurez-vous que tous, et le plus naturellement qu’il soit, l’appelait «Cheun» : Cheun Jacq, à prononcer avec la même phonétique que l’irlandais ou l’écossais « Sean ». Sean Connery, vous connaissez ? Eh bien voilà, c’est de la même famille, la famille celtique.
Mais il y a aussi, les Ives, Iwen, Ewen, sans oublier leurs jolis diminutifs comme Yfig, iwenig, Youennig… cherchez bien autour de vous, interrogez les anciens, je suis sûre que l’on doit dénicher encore bien d’autres variantes.
Erwan est loin d’être un solitaire : c’est le personnage d’une grande compagnie, un bouquet de truculence colorée, une gamme de noms en longue mélodie phonétique, une immense symphonie celtique.
Et si tout ceci n’est pas vrai… que l’on m’arrache la peau de l’âme pour la jeter sur mes sabots !
Angèle Jacq